Reprendre la route

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« Le risque est un kairos, au sens grec de l’instant décisif. Et ce qu’il détermine n’est pas seulement l’avenir, mais aussi le passé, en arrière de notre horizon d’attente, dans lequel il révèle une réserve insoupçonnée de liberté. Comment nommer ce qui, en décidant de l’avenir, réanime de fait le passé, l’empêchant de se fixer ? Car le risque appartient à une famille acoustique, à cette sorte d’effet (larsen) qui fait revenir le son vers celui qui l’émet. Lorsqu’il s’entend en retour, il provoque une sorte d’intelligence secrète qui seule, peut-être, est à même de désarmer la répétition.

Loin d’être un pur « en avant » tourné vers l’avenir, il engage avec le temps et la mémoire une inversion des priorités, par une sorte de révolte, de rupture très douce et continuelle. L’instant de la décision, celui où le risque est pris, inaugure un temps autre, comme le traumatisme. Mais un trauma positif. Ce serait, miraculeusement, le contraire de la névrose dont la marque de fabrique est de prendre aux rets l’avenir de telle sorte qu’il façonne notre présent selon la matrice des expérience passées, ne laissant aucune place à l’effraction de l’inédit, au déplacement, même infime, qu’ouvre une ligne d’horizon. L’effet retour du risque en serait l’exact contraire, oui, ce serait à partir de l’avenir un rewind qui démantèlerait en quelque sorte la réserve de fatalité incluse dans tout passé, ouvrant une possibilité d’être au présent – ce qu’on appelle une ligne de risque. »

Anne Dufourmantelle, Éloge du risque (2011).

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