Chouette hulotte mâle, hululant, période des amours.
Auteur : tempsvif
Reprendre la route
« Le risque est un kairos, au sens grec de l’instant décisif. Et ce qu’il détermine n’est pas seulement l’avenir, mais aussi le passé, en arrière de notre horizon d’attente, dans lequel il révèle une réserve insoupçonnée de liberté. Comment nommer ce qui, en décidant de l’avenir, réanime de fait le passé, l’empêchant de se fixer ? Car le risque appartient à une famille acoustique, à cette sorte d’effet (larsen) qui fait revenir le son vers celui qui l’émet. Lorsqu’il s’entend en retour, il provoque une sorte d’intelligence secrète qui seule, peut-être, est à même de désarmer la répétition.
Loin d’être un pur « en avant » tourné vers l’avenir, il engage avec le temps et la mémoire une inversion des priorités, par une sorte de révolte, de rupture très douce et continuelle. L’instant de la décision, celui où le risque est pris, inaugure un temps autre, comme le traumatisme. Mais un trauma positif. Ce serait, miraculeusement, le contraire de la névrose dont la marque de fabrique est de prendre aux rets l’avenir de telle sorte qu’il façonne notre présent selon la matrice des expérience passées, ne laissant aucune place à l’effraction de l’inédit, au déplacement, même infime, qu’ouvre une ligne d’horizon. L’effet retour du risque en serait l’exact contraire, oui, ce serait à partir de l’avenir un rewind qui démantèlerait en quelque sorte la réserve de fatalité incluse dans tout passé, ouvrant une possibilité d’être au présent – ce qu’on appelle une ligne de risque. »
Anne Dufourmantelle, Éloge du risque (2011).
Que le réel et la lumière
Je ne crois pas aux augures
Et je n’ai pas peur des signes.
Je ne fuis ni l’enfer ni la calomnie.
Il n’y a pas de mort sur terre.
Tous sont immortels. Et tout.
Il ne faut pas avoir peur de la mort,
Ni adolescent, ni vieillard.
Il n’y a que le réel et la lumière,
Ni ténèbres ni mort, non, sur cette terre.
Nous sommes déjà tous sur le rivage,
Et je suis de ceux qui ramènent le filet
Quand l’immortalité est venue en bancs.
Première strophe de « Vie, vie » (1965) d’Arséni Tarkovski (1907-1989) récité par lui-même dans le film Le Miroir (1975), d’Andreï Tarkovski.

*L’image principale est un polaroïd d’Andreï Tarkovski (Lumière instantanée, Editions Philippe Rey, 2004).
Mirabelles à gogo
Un îlot, une cabane
Dans un entretien mené par Virginie Bloch-Lainé pour la collection « A voix nue » de France Culture, Antoine de Galbert, collectionneur et fondateur de La Maison Rouge (Paris), évoque la notion d’écologie culturelle. Mais il la définit à sa manière, selon son idée, tel qu’il le faisait déjà en 2014, dans un autre entretien qu’il avait accordé à Magali Lesauvage pour le site Exponaute.
Il y dit : « Les galeries, les centres d’art, les musées ont sans cesse l’œil sur les chiffres, que ce soit de vente ou de fréquentation. Que l’on soit petit ou grand, c’est pareil, l’attitude par rapport à ces chiffres est la même. Donc s’il fallait créer un autre lieu, j’irais très loin, dans un concept d’écologie culturelle. Ce serait de l’ordre de l’écologie intellectuelle : je ne ferais pas de publicité, je n’aurais peut-être même pas d’adresse e-mail. Viendraient ceux qui veulent. On ne serait plus dans la demande perpétuelle de reconnaissance, de publics, d’affluence. Il faut inverser cela. D’ailleurs ça marcherait peut-être cent fois mieux ! (…) J’imagine un lieu de silence, et si personne ne vient, ça n’est pas grave. »
J’ai l’impression que ce qu’il dit est vrai pour les galeries, les centres d’art, les musées mais aussi les médias, les théâtres, les cinémas, et à peu près tout, en fait.
Alors j’imagine temps vif comme une cabane, dans cette idée d’« écologie culturelle et intellectuelle », comme un lieu pas forcément silencieux, comme un îlot d’expression, un peu loin, où viendraient donc ceux qui veulent. Et si personne ne vient, ça n’est pas grave, il a raison aussi ici.